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textes et graphismes

6 février 2015

boomerang

boomerang

 

Marie était demi-mondaine, c’est à dire mondaine à mi-temps, mondaine mais à temps partiel, par obligation professionnelle, comme d’autres sont, pendant leurs 35 heures postier ou livreur de pizzas.

Pourtant, mondaine, même à moitié, ce n’est pas à la portée de tous, plutôt de toutes.

Marie avait, physiquement toutes les qualités requises : grande, élancée, le mollet galbé et la croupe éloquente, elle méprisait superbement silicones et wonderbra.

Elle avait soin de cultiver d’autres détails indispensables car ce métier où l’on doit être remarquée impose d’être remarquable. Ses cheveux châtain-roux, elle les teignait en noir pour appuyer le contraste avec ses yeux verts soulignés d’un cerne de khôl. Quant à sa bouche pourpre, elle avait réussi, à force de répétitions à lui donner cette moue irrésistible qu’avait Mme Monroe disant « pom pom pidou ».

Fervente admiratrice de la noblesse des geishas, elle cultivait sa culture, maniait à bon escient l’imparfait du subjonctif, savait l’indispensable sur les grands philosophes, avait lu le livre à lire et vu le film à voir…

Allons voir cependant à l’envers du décor, nous y rencontrerons une fillette fort naïve. La professionnelle efficace avait une âme romanesque et croyait voir en chaque amant un prince charmant potentiel. Sa gestion financière était tout autant critiquable. Achetant cher et vendant bon marché, mangeant son blé en herbe, elle ne prenait aucunement en compte le caractère aléatoire de son capital de beauté.

Notre écervelée faisait donc ce qu’on peut appeler une fixation psychologique, une fixation à 15 ans. Aucun désastre sentimental n’avait été capable de lui faire franchir ce cap.

Un amant la quittait sans un mot, elle vivait un plein mois de spleen  puis reprenait son attente du Prince Charmant.

Puis nouveau Prince et nouveau charme, nouvelles délices des nouvelles amours et à nouveau 15 ans et la vie devant soi et l’amour éternel.

Abonnée à l’espoir, elle n’était donc jamais qu’à demi désespérée.

Elle se tournait bien parfois vers ses passés. Elle notait bien la forte proportion d’égrillards, de sans-cœur, de jouisseurs avides, d’indifférents à son âme si pure mais elle accusait le hasard, une malchance si persistante que dans ses statistiques, elle allait forcément prendre fin.

La preuve, elle venait de rencontrer André.

 

Il faut vous dire ici qu’elle adorait voir et revoir la célèbre villa de Noailles.

Elle y montait par ce jardin ancien qu’elle trouvait si romantique. Le temps avait vieilli les escaliers de pierre, les fers des pergolas, les troncs épaissis des glycines. Les floraisons n’en étaient que plus vives, plus émouvantes.

Passée la porte étroite et suivant les sentiers Marie entrait pas à pas dans son rêve et là-haut…

Là-haut, elle pouvait songer, entrer son illusion de bonheur, rêver à une vie abritée, protégée, où le monde viendrait à elle tout sourire et tout amitié.

Elle vivrait là avec les grands hommes avec les femmes libres insouciantes et belles. Ces personnages, ombres floues aperçues dans les livres, elle les rencontrerait au matin, simplement, au jardin ou à la piscine, à l’heure où le poète a des mots embrumés, où le ténor a sa voix de rogomme. Ils lui parleraient de leur art, elle saurait par le menu leurs réflexions, leurs recherches, leur bonheur d’inventer, le prix de leur vie libre, ce qu’ils ont voulu ou su faire…

Dans cette maison conçue pour le bonheur, elle serait plus libre que seule au profond des forêts. Ses flirts, ses amourettes même ses passions d’un moment seraient accueillies d’un sourire par lui, l’homme capable de réchauffer enfin sa vie.

Tout y serait possible, tout y serait permis sans que rien n’écorne l’amour, cet amour qu’elle imaginait immense et partagé, indifférent au temps, à la déchéance des corps. Un amour à l’image de cette maison  cocon où tout était prévu pour être seule dans la chaleur des autres à l’image de ces cent pendules battant d’un même cœur dans cent chambre silencieuses.

Sa montée par le jardin était montée mystique, pèlerinage solitaire vers ce passé rêvé.

On parlait de débauche à propos de la villa, mais pour Marie c’était débauche de libertés, de création d’intelligence et de grandeur.

 

C’est au cours d’un de ces voyages qu’elle avait rencontré André.

 

André, c’est une tout autre histoire.

Si Marie était une demi-mondaine, André, lui était à demi monstre. Figure d’ange et âme de bête, paroles de miel dans une bouche carnivore, gestes onctueux et larges mains de prédateur.

Il savait tout de l’histoire du lieu et se servait de ce savoir pour prendre au filet la touriste.

L’approche était classique : Il était là, sur l’esplanade, face à l’une des grandes baies ouvertes sur le ciel et la ville, en apparence fasciné par l’étendue, l’espace libre. En fait, il attendait qu’arrive à portée de ses mots une proie convenable, victime qui viendrait s’engluer dans son discours mielleux.

André parlait de sa villa.

Il était l’histoire vivante, le souvenir et le gardien.

La saga qu’il déroulait à ses auditrices était ronde comme la vague chaude de sa voix caressante. En émergeait une écume de noms, Cocteau et Picasso, Gide, Poulenc, Giacometti, vous savez celui de ces grandes statues tragiques que l’on voit à St Paul de Vence…

Valse de mots qui font rêver.

Toute la culture qui somnole dans les musées et les cinémathèque, se réveillait, facile. Evocations floues mais vivantes soudain dans la piscine ou le gymnase ou cette chambre ouverte sur le ciel ou les dédales de passages étroits peuplés grâce à André par ces fantômes illustres.

Ses héros préférés promus au rang d’assistants de drague étaient Man Ray et Stravinsky. Non qu’ils aient séjourné souvent ou marqué le lieu mais parce que l’un comme l’autre lançait dans le discours des Diaghilev, des Nijinski et Venise et L’oiseau de feu dont il fredonnait quelques mesures et les clients du photographe, brochette de noms fascinants, Breton, Eluard, Picabia et même Ava Gardner pour les Américaines.

Il savait les mots d’architecte, les noms des grands hommes qui éveillent l’attention, il savait inviter à ne pas négliger tel détail, telle pièce. L’une d’elles, justement lui servait à fermer le piège. Un balcon s’ouvrait sur l’étendue. André y jouait de sa voix de crooner, des ondes calmes de son discours, de ses yeux bruns, de son sourire, montrait au loin un bois, une chapelle, murmurait un détail à l’oreille, apprivoisait, tentait un contact furtif, une main sur l’épaule, une main sur la main, protectrice, apaisante, parlait, écoutait, souriait, questionnait, laissait agir le temps, le laissait user les défenses, bien légères défenses souvent de filles délurées qui voulaient remplir leurs vacances.…

Mais passons là aussi derrière le décor.

Nous y trouvons un faux bellâtre comptabilisant ses conquêtes, bloqué comme à 15 ans dans des amours quantitatifs.

André !

André et ses conquêtes !

André qui rencontra Marie.

La victoire fut rapide. André savait sa stratégie par cœur et Marie n’y voyait que la réalisation de son rêve.

André et sa proie subjuguée redescendirent de la villa, traversèrent le parc, aveugles au miracle bleu des glycines, passèrent le portillon, dévalèrent vers Bourgneuf, tournèrent par la sente étroite de la rue du trou de la ser et arrivèrent sur la placette à l’hôtel où André avait ses habitudes.

Il eut sa chambre de chaque fois, y emmena Marie, ils y firent l’amour…

Et ce jour-là, ô pauvre André, le ciel lui tomba sur la tête, et sur le cœur, et sur le reste.

S’il savait tout de la villa moderne, elle savait tout de son métier et retrouvait avec son bel André un enthousiasme professionnel qui conquit en un rien de temps le conquérant habitué à de fades passades.

Ce qu’il vécut les quelques jours suivants dépassait de mille coudées les sauteries minables qu’il comptabilisait.

André découvrit en peu de temps le bateau ivre, le petit pont de bois, la pomme de Newton, la douceur tonkinoise et la croix norvégienne, la paresseuse et le ventilateur, et le bateau sur l’eau et par dessus la jambe, le clip et la chandelle et le croque moelleux, la tarentule et l’abandon, le flipper, le transat, et le poirier indien et même le lotus pour lequel André eut besoin de quelque temps d’adaptation...

 

Aujourd’hui, pour fêter l’anniversaire de leur rencontre, Marie et André sont revenus à la villa. Ils sont allés sur l’esplanade, ils ont joué en souriant leur première rencontre, ont ri aux stratégies savantes et prudentes qu’André pratiquait autrefois puis sont redescendus, ignorant les glycines, et André l’a conduite vers le petit hôtel de la première fois.

Pour cette circonstances, Marie lui a promis une pèche Melba et il se doute bien que c’est plus qu’une glace.

 

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3 février 2015

Bonjour.

Après des années d'écriture et de recherches graphiques, j'ai choisi de montrer quelques uns de mes travaux, espérant offrir au visiteur un moment de plaisir ou de découverte.

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